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Publié le 22 oct 2020.
Les managers du secteur de la santé évoluent dans un contexte à la fois complexe et en pleine transformation. Comment prendre de la hauteur et développer une vision globale de son activité ? Quelles sont les tendances de fond à saisir ? Ces questions sont au cœur du nouvel Executive MBA et sa spécialisation Healthcare Innovation & Technology de 6 mois de l’EDHEC, créé en partenariat avec l’Université de Technologie de Compiègne (UTC). Pour en comprendre les enjeux clés, entretien avec François Langevin, chercheur en génie biomédical à l’UTC, directeur du Mastère Spécialisé Équipements Biomédicaux & co-directeur de l'EMBA HIT.
François Langevin : Il est important pour les dirigeants des entreprises du secteur de la santé de prendre de la hauteur, afin de développer une vision globale du contexte dans lequel ils exercent leurs métiers.
La santé n’est pas un champ isolé : ses déterminants sont notamment économiques, sociaux, démographiques ou environnementaux, et les techniques empruntent à de très nombreuses disciplines. L’accès à l’eau ou à l’assainissement, par exemple, sont encore loin d’être universels, la santé maternelle et celle des enfants dépendent fortement de l’accès des femmes à l’éducation, de la pauvreté et de la faim, et on a pu récemment observer les liens entre Covid-19 et précarité. Dans le cadre de l’EMBA HIT, un module intitulé Global Healthcare Systems permet aux managers et décideurs d’avoir cette vision d’ensemble de la santé mondiale.
C’est essentiel, car cela permet d’embrasser les situations dans leur intégralité et d’agréger les informations des différents experts pour avoir une vision stratégique. En plus d’assimiler des expertises spécialisées qui ne communiquent pas naturellement, l’innovation naît souvent du rapprochement de deux pensées que personne n’avait associées auparavant et qui génèrent une idée nouvelle.
Par exemple, les problèmes sanitaires et les problèmes sociaux, voire les questions de nutrition, sont intrinsèquement liés, mais ils sont encore généralement traités de manière séparée. Or, il est difficile de soigner correctement si l’on ne comprend pas les contextes des patients. Un patron d’établissement de dialyse m’expliquait ainsi récemment que, dans certains cas, il était impossible d’installer un système de dialyse à domicile pour des raisons d’insalubrité, de manque d’espace ou d’absence d’aidant. Pour dépasser ces blocages, il faut penser différemment et décloisonner.
Les pays développés sont marqués par un vieillissement de leur population qui se traduit par l’augmentation des pathologies chroniques, des polypathologies et des handicaps. De manière générale, on peut percevoir un continuum entre la santé et les mécanismes de soin, mais également, plus en amont, la manière dont la société produit des pathologies, que ce soit par la mauvaise alimentation, le stress de la vie urbaine ou le stress lié au travail.
Dans les pays du Sud, une majorité des pathologies d’ordre infectieux est en fort recul – c’est le cas du paludisme ou du VIH. En revanche, des pathologies auparavant spécifiques aux pays occidentaux s’y développent : pathologies cardio-vasculaires, cancers, diabète... Cette transition s’explique notamment par une transformation de l’urbanisme et le changement de mode de vie qui l’accompagne : depuis quelques années, la population des villes a dépassé celle des campagnes à l’échelle mondiale.
Globalement, on distingue trois grands types de systèmes de santé : les systèmes bismarckiens, fondés sur la cogestion de l’assurance sociale par les employeurs et leurs salariés, les systèmes beveridgiens, plus universels et financés par l’impôt, et les systèmes d’assurance privée, dont les États-Unis sont l’exemple le plus connu. En France par exemple, nous avons adopté le système bismarckien en 1918 par l’Alsace. Le Royaume Uni a construit le système beveridgien après la Seconde guerre mondiale. Mais aujourd’hui ces systèmes tendent à se mêler.
Non, les systèmes de santé et de régulation de chaque pays évoluent de manière sensiblement différente, malgré des caractéristiques partagées – comme le fait que la rémunération des hôpitaux soit majoritairement basée sur la tarification à l’activité (ou diagnostic related groups, DRG).
Des tendances communes apparaissent toutefois en Europe. Elles vont dans le sens d’une participation de plus en plus active du patient au système de santé et d’une prise en compte d’épisodes de soins complets. La figure du "patient debout" gagne en importance, y compris avec le développement des procédures ambulatoires. La prévention, l’incitation et la responsabilisation deviennent également des clés : les citoyens sont invités à prendre leur santé en main, en équilibrant leur alimentation et en limitant les addictions.
Globalement, développer une vision internationale est essentiel, car les entreprises du secteur de la santé évoluent rarement sur des marchés strictement nationaux, sauf aux États-Unis et en Chine.
Sa première spécificité est de ne pas reposer sur le diptyque économique classique de l’offre et de la demande. Dans la plupart des pays, les systèmes de santé sont régulés : ils reposent sur un triptyque qui réunit patients, acteurs de santé et régulateurs. Il est indispensable de comprendre ces mécanismes et leurs conséquences, et d’y inscrire la logique et le rôle des entreprises.
Le paysage médical et médico-social est complexe. Il comprend des hôpitaux – qu’ils soient publics, privés ou privés non-lucratifs – ainsi que différentes structures de soins de suite et de réadaptation (SSR), d’établissements pour les personnes âgées plus ou moins médicalisés, les EHPAD, des établissements dédiés à la dialyse, des structures associatives… Et les secteurs sociaux et du handicap se caractérisent également par une forte "balkanisation", avec des acteurs pluriels.
Du côté de l’industrie, les acteurs sont également divers. Il y a les leaders du dispositif médical, comme General Electric, Siemens, Philips, Medtronic ou Canon, les grands de l’instrumentation ou de la pharmacie, comme Roche, Johnson & Johnson ou Novartis, mais aussi les géants de la IT ou des GAFA comme Apple, IBM, Google ou Samsung, etc., qui s’intéressent tous à la santé. Sans oublier les innombrables PME, TPE et start-ups qui ont émergé ces dernières années.
Les relations qui existent entre ces établissements de santé et ces industries ne sont pas uniquement de classiques relations clients-fournisseur ou acheteur-vendeur. Une entreprise innovante par exemple, a besoin du soutien de leaders d’opinions, d’hôpitaux prêts à référencer ses produits ou à les tester. Cela donne naissance à des partenariats et à de véritables écosystèmes, composés de parties prenantes très diverses en termes d’expertise, de savoir-faire ou d’organisation.
Globalement, l’hôpital a de nombreuses caractéristiques d’une entreprise. Les ressources humaines fonctionnent selon une logique tayloriste : rien qu’en radiologie par exemple, il existe une douzaine de spécialités distinctes, comme autant de silos – il est impossible de faire réaliser une opération de radiologie vasculaire par un radiologue-pédiatre. Sur le plan de l’organisation, le toyotisme et le lean management sont omniprésents. Les processus mis en œuvre dans un hôpital répondent eux aussi à une logique industrielle : par exemple, avec une quinzaine de salles d’opération et environ 200 personnes mobilisées dès 8 heures du matin, du brancardier au chirurgien, tout doit être géré comme une chaîne de production. Par ailleurs, le mode de financement actuel des hôpitaux (la tarification à l’activité ou DRG), implique que les actes pratiqués sont catégorisés et "vendus" à la manière de produits.
Enfin, et comme d’autres champs économiques, le secteur de la santé et des hôpitaux se caractérise par de nombreuses fusions-acquisitions, suivant une logique d’économies d’échelle. Ce mouvement peut sembler parfois excessif : en France par exemple, 90 fusions d’hôpitaux ont été réalisées entre 1997 et 2012. Certains hôpitaux sont devenus des grandes superstructures qui ont migrés à l’extérieur des villes, à l’image des supermarchés de périphérie auxquels on accède en voiture ou en bus. À contre-courant de cette centralisation, le retour d’une partie de cette santé à l’échelle locale, près des gens qui ont en besoin, est un enjeu majeur aujourd’hui.
Non, bien entendu, l’hôpital n’est pas une entreprise comme les autres parce qu’il soigne. D’ailleurs, une bonne partie du personnel des hôpitaux réfute cette logique d’entreprise – nous l’avons vu en France, avec la participation de certains infirmiers ou aides-soignants à des mouvements sociaux tels que les gilets jaunes. La vérité se trouve donc probablement à la croisée des deux idées : s’il a les caractéristiques d’une entreprise, un hôpital doit conserver une dimension humaine et conserver son projet avant tout sociétal.
Pour plus d’informations sur l’EDHEC EMBA Healthcare Innovation & Technology, contactez-nous : executive-mba@edhec.edu